Une bande dessinée pour traiter du terrorisme. Un mode d’expression original, mais réussi, dont le scénario revient à Marc Trévidic.
La bande dessinée Les fiancées du Califat[1] mérite de retenir l’attention à plusieurs titres. D’abord, parce que parue dans la foulée de la trilogie Compte à rebours des mêmes auteurs[2], qui offrait un aperçu intéressant sur certains aspects du terrorisme international et de l’antiterrorisme en France, au travers de l’action d’un juge antiterroriste (élaboration semi-fictionnelle de M. Trévidic qui a écrit le scénario), ce volume traite d’un sujet nouveau et relativement peu étudié. Il s’agit de la participation de femmes, souvent très jeunes et parfois converties, à des formes d’islamisme djihadiste pouvant les conduire à commettre des actes terroristes.
Les femmes face à l’État islamique
En effet, ce n’est qu’assez récemment, et surtout en raison de leur implication dans la mobilisation suscitée par l’État islamique depuis 2014, que les femmes jihadistes ont commencé à être envisagées (notamment par les dispositifs antiterroristes) pour ce qu’elles sont. À savoir, non pas des « victimes » en tant que fragiles créatures manipulées par des hommes et obéissant à leur sentimentalité exacerbée, mais de vraies combattantes à part entière, partageant une idéologie structurée et participant pleinement des activités des groupes auxquels elles se rattachent. Cette évolution conceptuelle est également perceptible dans le domaine disciplinaire des études sur le terrorisme[3], où la composante féminine n’a fait que très tardivement l’objet de recherches systématiques et cumulatives[4]. Sachant que depuis Narodnaïa Volia à la fin du XIXe siècle, en passant par la RAF allemande ou les Tigres tamouls, les exemples de participation de femmes dans des organisations recourant au terrorisme ne manquent pas ; élément que des travaux récents mieux informés sur l’aspect historique du sujet prennent maintenant en compte[5].
Ensuite, parce que la bande dessinée, lorsqu’elle est de bonne qualité (ce qui est parfois le cas), est un vecteur très important des représentations du terrorisme en tant que fait culturel. Elle entre donc pleinement dans le complexe terroriste qui ne concerne pas seulement les actes et les dispositifs antiterroristes, mais aussi l’ensemble des discours qui configurent la substance de ce mode particulier de communication violente. À ce titre certaines bandes dessinées peuvent, par exemple, très utilement servir comme supports didactiques pour des cours sur le terrorisme destinés à un public de grands débutants. Ce qui est incontestablement aussi le cas pour Les fiancées du Califat, dont le scénario a été écrit par un juge antiterroriste disposant d’une réelle expérience en la matière, et dont les ouvrages sont toujours intéressants pour les chercheurs qui, en France, n’ont pas un accès direct aux sources judiciaires[6].
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Une plongée dans la France du terrorisme
Sans dévoiler ici les méandres de l’épisode relaté dans ce volume, signalons quelques thèmes évoqués dans cette bande dessinée. La dynamique d’un petit groupe de jeunes musulmanes, incluant une convertie, engagé dans la préparation d’actes terroristes évoque immédiatement dans l’esprit du lecteur français le cas de l’attentat raté près de Notre-Dame à Paris le 4 septembre 2016. Et les similitudes entre ce groupe structuré autour d’Inès Madani et celui de la BD ne sont sans doute pas fortuites… De même, le fait que l’action dans la semi-fiction de la BD se déroule à Toulouse (clin d’œil à l’affaire Merah en 2012), dans un quartier à TRE (taux de remplacement élevé), où les lois françaises, notamment concernant l’interdiction du niqab (voile intégral) dans l’espace public, ne sont pratiquement plus applicables (p. 41) ne relève pas de la coïncidence. Par ailleurs les relations entre le groupe local et des incitateurs et/ou commanditaires externes (dans ce cas basés en zone tribale pakistanaise) est un fait souvent constaté. À condition toutefois qu’existe la possibilité de greffer cet ingrédient exogène sur un terreau local et des réseaux « indigènes » ; facteurs indispensables dont l’importance n’est pratiquement jamais démentie jusqu’à présent, sauf pour les rares cas d’attentats entièrement conçus par des services étatiques étrangers. On trouvera bien d’autres détails significatifs sur la préparation d’attentats terroristes et le travail policier et judiciaire destiné à les empêcher au cours de la lecture de cette œuvre agréablement présentée. Le but de cette note étant de rappeler qu’en matière d’étude du terrorisme, aucune source ne peut être négligée, et qu’une bande dessinée bien élaborée peut, aussi, être un document qui mérite l’attention des chercheurs.
À lire également
[1] Marc Trévidic ; Matz ; Giuseppe Liotti, Les fiancées du Califat, Rue de Sèvres, Paris, 2021.
[2] Marc Trévidic ; Matz ; Giuseppe Liotti, Compte à rebours, 3 Volumes, Rue de Sèvres, Paris, 2018, 2019, 2019.
[3] Sur l’état actuel de la discipline : Daniel Dory, « Les Terrorism studies à l’heure du bilan », Sécurité Globale, N° 22, 2020, 123-142.
[4] Pour une bonne synthèse des travaux avant l’émergence de l’État islamique : Karen Jacques ; Paul Taylor, « Female Terrorism : A Review », Terrorism and Political Violence, Vol. 21, N° 3, 2009, 499-515.
[5] Par exemple : Caron E. Gentry, « Women and Terrorism », in : Erica Chenoweth et Al. (Ed.), The Oxford Handbook of Terrorism, Oxford University Press, Oxford, 2019, 414-428.
[6] Voir : Daniel Dory, « Le terrorisme comme personnage de roman », Conflits, 4 février 2021 : https://www.revueconflits.com/livre-le-terrorisme-comme-personnage-de-roman-daniel-dory/